J'aime bien Donald Trump. Même s'il est loin d'être un ami de la Russie. Pour ma défense je peux seulement dire que cet homme excentrique, qui n'a pas parcouru toutes les étapes traditionnelles d'une carrière politique et qui a décidé d'arriver immédiatement au sommet de la pyramide politique américaine (ou mondiale, comme le croient certains et même absolument tous aux USA), se comportait de manière complètement confiante et égoïste bien avant le "Super Tuesday" — ce "super mardi" des primaires américaines où un grand nombre d'États votent.

Il a toujours tout fait pour se faire remarquer, s'affichant comme un parvenu et exposant sa richesse.

Bien sûr, il a publié plusieurs livres expliquant comment devenir milliardaire sur son propre exemple, contenant des conseils du genre: "Donnez un maximum de pourboires, ne manquez pas l'occasion de laisser un pourboire et les gens vous aimeront, ils iront vers vous. Cela vous sera ensuite très utile pour prendre à ces gens un million de fois ce que vous leur avez donné". Et ainsi de suite, dans le même esprit.

Quand cet homme bien portant travaillait dans les affaires, il donnait déjà l'impression qu'il s'était fait lui-même en respectant tous les canons du rêve américain. Aujourd'hui on peut penser qu'il représente avant tout lui-même, ses propres intérêts et objectifs qu'il pourrait légèrement embellir ou taire, mais qu'il suivra forcément. Dans l'ensemble, ils sont clairs et compréhensibles.

Les personnes qui se représentent elles-mêmes sont un élément incontournable de la démocratie représentative — si l'on part du principe qu'elle ne s'est pas encore transformée en système de manipulation des masses en coulisses et qu'il s'agit encore bien de représentation.

L'homme qui ne se représente pas lui-même ne peut pas représenter qui que ce soit d'autre. La représentation ne fonctionne que si le représentant, en défendant ses propres intérêts profondément privés et mercantiles, défend aussi les mêmes intérêts de ceux qu'il représente. Ce système fonctionne tant bien que mal.
Plus il faut mentir aux représentés et les mener en bateau pour accroître le nombre de votants, moins ce système fonctionne. En fin de compte, il dégénère en structure où le rôle du président est joué par un orateur professionnel, blanc ou noir, femme ou homme…

Il soutient des "valeurs" plus que sa propre personne. Il dit seulement ce que veut entendre la majorité des électeurs et se montre ainsi comme un représentant irréprochable (après tout vous l'avez vous-même voulu) dégagé de toute responsabilité politique. Quand il s'avère que la situation n'évolue pas du tout dans la direction des promesses, l'orateur se réfère aux processus naturels, à une "crise" qui se produit d'elle-même (la main du marché) et au "bon vieux diable" (Russie).
Le fait qu'un homme représentant avant tout lui-même cherche à infiltrer le système de la pseudo-démocratie de masse dirigée qui s'est affirmée aux USA depuis l'époque de Reagan, mérite d'être évalué indépendamment de qui adviendra du système et de l'homme en question.

Les motivations de Trump sont claires. Il ne cache pas particulièrement avoir déjà compris que dans les "affaires" on peut "gagner" seulement des milliards. Et pour toucher aux milliers de milliards (et aux pays en tant qu'immobilier) il faut aller dans la "politique". Pour cela il faut être apprécié par des millions de personnes et même la majorité de ces millions de personnes.

Pourquoi? Précisément parce que tu es un milliardaire. Car tu incarnes pour tous le rêve et l'opportunité de devenir comme toi.

Il est difficile, pour un Russe, de concevoir qu'on puisse aimer quelqu'un pour cela. Nos "oligarques" mal dégrossis — qui se sont banalement octroyés les biens et les finances publics — ont tenté d'afficher leur richesse soudaine pour être appréciés du public. Mais ces tentatives s'expliquent uniquement par leur ignorance culturelle, historique et politique.

C'est le contraire aux USA. Une attitude de ce genre est un code culturel initial et authentique, la base du projet social. Ce code répond toujours à la question: pour quelle raison les gens sont-ils prêts à subir des privations et de quoi rêvent-ils? Le fait que l'homme incarnant la valeur américaine authentique, l'idéal, le rêve américain ait sérieusement décidé de devenir président des USA et ne soit pas simplement sorti s'amuser et se réchauffer, indique que le système sociopolitique américain a actionné une sorte de réaction de défense.

Le système cherche à "redémarrer" comme un ordinateur ou, pour s'exprimer autrement, s'est retrouvé dans une situation de reproduction — car pour poursuivre son existence tout système d'activité collective humaine doit être avant tout organisé et sciemment reproduit dans les nouvelles conditions historiques. L'abandon du code initial est impossible. La seule variante est sa disparition, comme la Rome antique et d'autres peuples et civilisations éteints.

Jusqu'à présent, le pays des néoconservateurs vivant grâce à la dette, la consommation et la foi laïque — et aux pogroms dans le monde entier arrivés aujourd'hui jusqu'à l'ancienne Europe — était critiqué uniquement par les conservateurs (sans le préfixe "néo"). Il pouvait sembler que seuls les marginaux restés en vie et les anciens représentants politiques comme Buchanan, Kissinger et leurs semblables pouvaient appeler à revenir vers le passé. Tels des obscurantistes de la politique.

Mais voilà qu'apparaît un personnage qui écrit un véritable programme conservateur et se jette dans la gueule du loup. Et le système politique ignore quoi en faire, même s'il arrive pour le "sauver".

Aux USA les sauveurs sont mal vus. Le président-personnalité qui parle en son nom et mène son parti derrière lui peut parfaitement s'attendre à une balle, comme Lincoln ou Kennedy, ou à une mort aux circonstances douteuses comme Roosevelt.

Il est inutile de prédire ce qui arrivera à Trump s'il devenait candidat, puis président, avant de prendre vraiment les choses en mains. Cela ne sera pas facile pour lui.

Les gens sont pervertis par l'image de ce niveau de vie injustifié, alors que les élites n'ont aucune intention de faire renaître l'Amérique. Elles utilisent les USA comme un instrument de la mondialisation, de la même manière que les trotskistes comptaient utiliser l'URSS pour attiser l'incendie mondial.

Peut-être que Donald Trump se fait seulement passer pour le "bon gars" et que toute la fumée servira seulement la promotion de son image. Ou il ne sera tout simplement pas élu.

Mais ce serait sous-estimer la nation politique américaine que de croire qu'il n'existe pas aux USA des forces aspirant à la reconnaissance nationale — c'est-à-dire à la recapitalisation industrielle, au retour des normes strictes d'exploitation du travail, à la restriction de la migration non naturalisée au profit de la similitude, à la restriction de la consommation au profit des investissements et de l'accumulation, à l'isolement au lieu du contrôle du monde.

Si les Américains, avec ou sans Trump, commençaient réellement à suivre cette voie, nous passerions un sale quart d'heure. Parce qu'ils régleraient leurs problèmes — s'ils décidaient finalement de les régler au lieu de les reporter comme aujourd'hui — comme ils l'ont toujours fait dans l'histoire: au maximum au détriment des autres. Avant tout de la Russie. Et de l'Europe aussi.