L'ex-maire de Londres Boris Johnson pense que l'Union européenne s'inscrit dans la continuité des plans historiques de Napoléon et d'Hitler, mais avec des méthodes différentes. "Plusieurs s'y sont essayé, avec des conséquences tragiques", a-t-il déclaré récemment.

Cette comparaison a provoqué une forte réaction publique mais la question est toujours en suspens: qui, en l'occurrence, pourrait être comparé à un nouveau Napoléon ou Hitler?

Les idées et projets d'"Europe unie" existent depuis des siècles — leur première incarnation remonte à la Rome antique.

Cependant, le projet et l'idéologie mis en œuvre après la Seconde Guerre mondiale possèdent quelques particularités.

La principale d'entre elles est que le pouvoir impérial public proclamé sur l'Europe "unie" à laquelle aspiraient les Romains ou Napoléon, par exemple, devait être remplacé par des mécanismes de gouvernance non publics et voilés. C'est l'essence du nouveau projet unificateur que les USA imposent aujourd'hui à l'Europe.

Les institutions de l'eurobureaucratie de Bruxelles, que personne n'élit, permettent de travailler avec chaque dirigeant personnellement en employant différents leviers de "motivation".

Ces institutions affaiblissent et limitent considérablement les capacités des gouvernements nationaux, avec lesquels on peut alors travailler à titre individuel en leur causant des problèmes, puis leur proposer de l'"aide" pour les régler.

Les plus importants outils de contrôle de la nouvelle Europe "unie" sont le statut de membre à part entière au sein de celle-ci pour des États qui ne sont absolument pas souverains et sont entièrement subordonnés aux USA — les pays baltes avant tout, mais pas seulement. Tout cet inventaire diversifié permet aux États-Unis, sans proclamer de pouvoir public sur l'Europe, de ne pas endosser la responsabilité de la gouvernance de l'Europe occidentale.

Il n'y aucune conspiration ou théorie du complot derrière cette thèse. Elle reflète simplement la géopolitique contemporaine. C'est l'exemple du projet de Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (TTIP) promu par les USA, dont le contenu reste secret et interdit au débat, mais dont certains aspects ont fait l'objet de fuites et indiquent que la conclusion d'un tel accord entraînerait une perte de souveraineté économique puis politique totale des pays européens.

Le projet américain d'Europe "unie" sera prochainement soumis à de sérieuses épreuves. L'ampleur des problèmes engendrés par le projet de l'UE lui-même, et de ceux provoqués par un plus large éventail de processus géopolitiques, va forcer les Européens et les Américains à poser bientôt directement la principale question politique — celle du pouvoir.

Premièrement, le niveau des problèmes économiques accumulés en UE a atteint un seuil critique, et il n'existe aucun moyen clair de les régler. Pour l'instant l'Union européenne suit le chemin indiqué par les USA et mène un programme d'"assouplissement quantitatif" en injectant dans le système financier 60 milliards d'euros par mois. Ce faisant, elle ne fait que reporter la crise vers un futur proche.

Sous la pression des problèmes économiques, l'UE doit revenir sur tous les acquis du "socialisme européen" obtenus en concurrence avec le projet socialiste soviétique. Les protestations contre la Loi travail en France ne sont qu'un début. La situation en Italie, en Espagne et en Grèce est bien pire.

Deuxièmement, le poids de la politique migratoire menée ces 30 dernières années et l'échec du multiculturalisme proclamé par les dirigeants des principaux pays de l'UE se fait sentir.

Pendant plusieurs décennies, les Européens ont importé une main d'œuvre bon marché des pays d'Afrique et de l'Est, qui a constitué l'une des principales sources de croissance économique et de formation d'un nouveau prolétariat exploité. Il s'est avéré ces dernières années que les enfants des individus venus en tant que main d'œuvre bon marché ne souhaitaient pas suivre le chemin de leurs parents immigrés, ni s'intégrer d'aucune autre manière.

Dans ce contexte, de nouveaux flux de migrants complètement différents — pas de main d'œuvre cette fois — se sont dirigés vers l'Europe depuis le Moyen-Orient et la Libye dévastés par les USA et l'Otan. Ils demandent des comptes pour la destruction de leur pays et pour s'être vus privés d'une vie normale. Cela complique significativement les problèmes déjà apparus avec l'échec du multiculturalisme, la nécessité de réduire les prestations sociales et engendre une grande protestation, à la fois à droite et à gauche.

Ensuite, l'hétérogénéité de l'Europe "unie" crée une tension de plus en plus forte au sein des structures politiques. Étant donné que l'Europe "unie" n'arrive pas à régler les problèmes économiques ou migratoires, des pays comme la Hongrie ou la Pologne prennent l'initiative de les régler eux-mêmes. Dans la mesure du possible.

Par exemple, on constate aujourd'hui en Pologne un sérieux conflit entre les néo-nationalistes et les pro-européens, qui n'a pas de solution dans la situation actuelle. Pire: il ne fera que s'aggraver.

Par ailleurs, il est de plus en plus clair que les USA utilisent l'Europe comme un otage et une victime dans la confrontation avec la Russie qu'ils provoquent. Mais les Européens ne peuvent ni ne veulent faire la guerre, et l'illusion de la capacité de l'Otan à écraser la Russie en un claquement de doigts grâce à une prétendue "supériorité décuplée" se dissipe.

Plus les doutes sur la "toute-puissance américaine" vont se multiplier, plus nombreux seront ceux qui voudront se dégager de sa gouvernance. Toute la politique étrangère à laquelle les Américains poussaient les pays européens a finalement échoué, qu'il s'agisse des sanctions contre la Russie ou de l'incapacité d'Angela Merkel de gérer l'Ukraine et la Turquie.

La liste est longue. L'accumulation de problèmes, leur atténuation et leur couverture ne peuvent pas durer indéfiniment. Mais ils ne peuvent pas non plus être réglés dans l'état actuel de l'Europe "unie".

Car il n'existe en son sein aucune entité ou institution politique à part entière et apte — seulement des outils d'influence et de gouvernance américaine non publique. En d'autres termes, l'Europe "unie" traverse une crise de pouvoir. Ou plutôt une crise d'absence de pouvoir.

Cependant, plus les problèmes s'approfondissent, plus les possibilités d'existence en mode "sans pouvoir" compensé uniquement par la gouvernance américaine se réduiront. Quand quelque chose ne se déroule pas selon les plans, il faut employer le pouvoir et endosser la responsabilité.

"L'intelligence britannique", pratique et pragmatique, qui a une expérience séculaire d'existence impériale, comprend très bien la situation actuelle. Les déclarations de l'ex-maire de Londres, eurosceptique et co-initiateur du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l'UE, n'ont rien d'un hasard. La partie responsable et réaliste de la classe dirigeante britannique n'a aucune intention d'être enterrée dans la "fosse commune" de l'UE. Elle veut décider de son sort elle-même.

Théoriquement, trois scénarios de rétablissement des entités du pouvoir politique sont envisageables pour l'Europe "unie". Le premier: un passage du régime américain de gouvernance et d'influence sur le plan public, l'établissement du pouvoir américain en Europe occidentale et le passage des États nationaux à un régime d'autonomie locale de facto. Le partenariat transatlantique est une tentative d'avancer sur cette voie. Ce scénario est très désiré par beaucoup aux USA et en UE, mais très difficile à réaliser.

Deuxième solution: faire de l'UE un État à part entière avec un pouvoir élu, une armée, un appareil de répression communs, ainsi qu'une politique nationale et étrangère propre. Beaucoup d'Européens le voudraient mais les USA et les eurosceptiques ne laisseront pas faire.

Troisième scénario: le retour du pouvoir au niveau des États nationaux et l'effondrement de l'UE de facto. En paroles, peu le souhaitent en Europe et certainement pas les USA. Or aujourd'hui cela semble être le scénario le plus réaliste et l'unique alternative au chaos anarchique face aux problèmes qui persistent.