La province, dernier rempart de la mentalité russe
Chaque jour est une nouvelle épreuve pour l'homme, sa résistance, son endurance, voire simplement sa survie. C'est le cas aussi pour des nations entières, qu'il s'agisse des nations européennes qui semblent avoir définitivement perdu leurs racines ou de la nation russe, qui se trouve sous l'immense influence culturelle, économique et politique des modèles de développement occidentaux et pro-américains. Notre survie en tant que nation, en tant qu'État et en tant que civilisation autonome — ce que nous sommes indéniablement — dépendra de notre dépendance envers ces modèles et de ce que nous leur avons emprunté.
En tant qu'habitant de la région de Nijni Novgorod, je constate tous les jours le niveau d'influence du mode de vie occidental sur mes compatriotes. En observant notre vie quotidienne, je peux tirer certaines conclusions que je voudrais partager ici.
Voyons concrètement ce que représente le "mode de vie américain". Dans les faits, il signifie surtout que l'individu est centré sur la satisfaction de ses besoins, même les plus douteux, et le plus souvent au détriment des autres individus et de son propre pays. C'est le triomphe de l'utilitarisme belliqueux, avec son culte des centres commerciaux et son égoïsme omniprésent.
Comme dans ce film hollywoodien racontant l'histoire d'une famille américaine très aisée qui a déménagé dans une petite ville. Dès la première minute il devient évident que cette famille est un peu décalée: elle mène une vie qui perturbe les habitants de par son luxe, son attitude de consommation envers les choses et les gens, puis les habitants de la ville entrent involontairement dans ce jeu destructeur à première vue fascinant, achètent des objets complètement inutiles mais très coûteux et prétentieux.
En parallèle, les relations humaines établies depuis des années commencent à s'effondrer, la passion d'être comme les autres et de flamber avec des objets chers mais complètement inutiles éclipse tout le reste. Comme on aurait pu s'y attendre, la famille parfaite s'avère finalement être une fraude — un simple coup de marketing novateur pour promouvoir des produits auprès de différents groupes de consommateurs.
La métaphore est simple: la ville provinciale américaine représente le monde, et la "famille parfaite" est le système de consommation américain. Un système insensé et impitoyable qui humilie et détruit l'homme et la culture avec toutes les conséquences que cela implique. Au final, l'un des héros du film se suicide à cause d'une dette insurmontable après qu'il a perdu sa famille dans la course à la norme de consommation.
Jusqu'au début des années 1990, la population soviétique ne pouvait pas adopter un mode de vie consumériste. Nous vivions avec des notions particulières de ce qui est juste ou mauvais. L'effondrement de l'URSS et de l'idée non réalisée de l'égalité générale nous a jetés, naïfs vis-à-vis du consumérisme, dans les bras du système de consommation occidental agressif. Les anciens Soviétiques absorbaient éperdument tout ce qu'on leur proposait avec l'instauration dans le pays d'un marché libre, et c'est là que réside, selon moi, l'origine de la tragédie russe en tant que "plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle".
Le boom de consommation ne s'est pas seulement accompagné de nouvelles opportunités mais également de besoins de plus en plus grands, créant un terrain fertile pour l'égoïsme et l'indifférence envers le pays et ses proches. Personne ne réfléchissait vraiment à la manière dont ces nouveaux "idéaux" nous impactaient personnellement, psychologiquement, intérieurement. Et ce que beaucoup n'attendaient pas s'est produit: nous sommes pratiquement morts. Morts en tant que pays, en tant que nation et individus — en tant qu'identités uniques. Une affirmation discutable? Seulement jusqu'au moment où l'on se demande ce que le culte de la consommation nous a apporté. Réponse: rien hormis de faux repères et une sensation d'égarement.
Timofeï Sergueïtsev, membre du Club Zinoviev, souligne dans son livre Le sort de l'empire que "l'histoire d'un peuple n'est pas une histoire de sang ni d'organisation sociale, d'union sociale, mais de la culture, de l'histoire de la pensée et de l'activité".
En effet, l'homme russe vit dans un milieu unique. Il est élevé selon les idéaux orthodoxes et la grande culture russe, c'est pourquoi il aspire à la perfection spirituelle et à la justice. Empli du sentiment des vastes étendues de sa terre natale, il possède également une immense liberté intérieure.
Ces observations se confirment dès qu'on visite la province russe et qu'on rencontre les vrais Russes, qui restent loyaux à leur culture nationale.
La région de Nijni Novgorod fait partie de cette province russe. Ici, chaque année à la fin du mois de mai, la communauté bibliothécaire célèbre sa fête professionnelle. La bibliothèque régionale de Nijni Novgorod félicite et remet des prix aux bibliothécaires de toute la région, qui réalisent quotidiennement de petits exploits au nom de la préservation de l'esprit russe en dévoilant aux lecteurs la beauté de leur région natale, de la foi et de notre glorieuse histoire. Leur travail trouve un écho sincère dans le cœur des habitants des villes et des villages.
Des collectifs artistiques des quatre coins de la région viennent également se produire lors de cet événement: j'ai surtout été impressionné par les accordéonistes et les interprètes de chants populaires, des Russes ordinaires qui aiment leur pays, qui professent leur foi, qui connaissent la culture de leur peuple et ne l'échangent pas contre le shopping et les "nouveautés de la saison".
On aurait pu se demander, à notre époque de managers, de courtiers et de distributeurs, qui était encore prêt à accorder son temps à des instruments de musique populaires, c'est-à-dire "pas à la mode"? Mais après chaque chanson il devenait de plus en plus évident que j'avais devant mois des gens vrais, vivants, prêts à défendre leurs idéaux et non les priorités matérielles.
J'ai rencontré de telles personnes partout dans notre région — à Dzerjinsk, à Balakhna, à Vetlouga — et chaque fois je me disais qu'elles étaient invincibles même si elles subissaient l'influence destructrice du "mode de vie occidental".
Au milieu du XIXe siècle, le célèbre ethnographe et écrivain Pavel Melnikov-Petcherski, originaire de Nijni Novgorod et également représentant itinérant du ministère de l'Intérieur, était chargé de la question des vieux-croyants, notamment ceux qui dans notre région vivaient dans les forêts de la Trans-Volga. La connaissance pointue qu'il en a tirée a persuadé Pavel Melnikov-Petcherski que dans le contexte de disparition rapide de la société russe à l'époque (ce problème était tout aussi pertinent qu'aujourd'hui) "le sauvetage de la Russie viendrait des vieux-croyants". Il notait que ces gens vivant loin des capitales et des tentations étaient attachés aux anciennes coutumes et à la foi patristique, et que c'est l'attachement aux traditions qui sauverait la Russie de l'emprise des idées étrangères. Je pense qu'il avait raison.
La province russe joue aujourd'hui le même rôle que les vieux-croyants en leur temps qui, malgré les épreuves quotidiennes de résistance, d'endurance et simplement de survie, restent stoïques dans leur conservatisme sain et souhaitent rester vrais en toute circonstance.
Leur arme est la culture russe et la foi orthodoxe, ce qu'ils prouvent chaque jour par leur vie et le fait que la province, méprisée par certains, est en vie et montre à tous l'exemple d'une attitude positive et constructive envers la vie et sa Patrie.