Dans la nuit du 21 au 22 juin, des millions de personnes en Russie et dans d'autres pays participeront à la "Ligne de mémoire" en souvenir du début de la guerre la plus sanglante et terrible qu'a connu notre pays. Pour les Russes, cette date n'est pas qu'un symbole: il y a exactement 75 ans était lancée l'extermination systémique et cruelle des peuples de l'URSS. Car tels étaient les véritables objectifs du nazisme allemand.

Aujourd'hui dans l'espace postsoviétique, par exemple en Ukraine, certains appellent à revoir l'histoire de la Seconde Guerre mondiale en prétendant que le monde contemporain a changé, et que ceux qui pensent encore comme au milieu du XXe siècle ne s'inscrivent pas dans les nouveaux discours universels.

Mais en réalité, le monde n'a pas changé. Il a même empiré et commencé une nouvelle étape de son "évolution". Aujourd'hui l'hégémonisme relève la tête, appuyé sur des plans de conquête mondiale comparables au nazisme hitlérien.

Comment l'histoire de la Grande Guerre patriotique est révisée

La révision rampante, controversée et parfois provocatrice des pages de la Grande Guerre patriotique a également lieu aujourd'hui en Russie même. Ainsi, sur une chaîne connue, les invités d'une émission ont remis en question la nécessité de la défense héroïque de Leningrad (actuelle Saint-Pétersbourg) et le courage de ses défenseurs. Sur une autre chaîne a été diffusée la danse d'un acteur portant l'uniforme d'un officier de la Wehrmacht… Ou encore: dans une université de Saint-Pétersbourg a été défendue une thèse réhabilitant de facto la trahison du général Vlassov et, dans la même ville, a été installée une plaque commémorative en hommage à l'un des organisateurs du blocus de Leningrad: le maréchal finlandais Mannerheim.

De telles manœuvres sont dictées par des notions conjoncturelles et opportunistes (faire monter l'audimat d'une chaîne, montrer à l'Europe l'aspiration de la Russie à l'amitié, etc.) et n'ont rien à voir avec la science historique, qui se doit d'être objective. En réalité, le moindre pas vers la déformation, l'oubli ou la réévaluation d'une page de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale contribue à la vaste campagne de repartage géopolitique du monde, où la révision fondamentale de l'histoire et la place de la Russie et des Russes dans celle-ci joue un rôle non négligeable.

L'histoire de la Seconde Guerre mondiale devient un sujet clef des confrontations du XXIe siècle sur le plan de l'information car les appréciations universelles de ses causes, objectifs et résultats sont la pierre angulaire de l'ordre mondial contemporain.

La révision de ces réalités est appelée à changer l'ordre mondial actuel au profit de ceux qui donnent le ton dans la promotion de nouvelles versions prooccidentales de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, basant ensuite l'argumentation au profit d'une nouvelle campagne militaire contre la Russie.

La falsification des causes, des raisons et des significations de la guerre la plus sanglante de l'histoire sert donc à:

— dispenser l'Occident de toute responsabilité dans son déclenchement;

— réhabiliter le fascisme et la russophobie;

— constituer une base de preuves de la "culpabilité" de l'URSS dans la Seconde Guerre mondiale — et donc de la Russie contemporaine;

— justifier la nécessité d'engager contre la Russie une nouvelle guerre totale suivie d'un génocide du peuple russe à tous les niveaux — économique, politique, culturel et sportif.

Les principaux axes de déformation de l'histoire

Les sujets et événements tus ou déformés par les historiens et les politiciens occidentaux sont très nombreux. Voici un tableau des principaux d'entre eux.

Événement historique réel

Déformation de cet événement par les propagandistes occidentaux

La Seconde Guerre mondiale a résulté des aspirations hégémoniques des puissances occidentales

La Seconde Guerre mondiale est le résultat d'une rivalité entre Staline et Hitler

Le déclencheur principal de la Seconde Guerre mondiale a été le complot de Munich entre les puissances occidentales et Hitler en septembre 1938

 Le déclencheur principal de la Seconde Guerre mondiale a été la signature du pacte germano-soviétique Molotov-Ribbentrop en août 1939

Le 22 juin 1941, l'Allemagne a attaqué l'URSS en violant l'accord de non-agression

 L'Allemagne a attaqué l'URSS car l'Union soviétique s'apprêtait à attaquer l'Allemagne

L'Armée rouge a apporté la principale contribution à la victoire sur le fascisme

Les USA et le Royaume-Uni sont les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale

Après la Seconde Guerre mondiale, les pays vainqueurs ont partagé l'Europe en sphères d'influence

Pendant la Seconde Guerre mondiale l'URSS a occupé les pays d'Europe de l'Est

 

Bien évidemment, les faits susmentionnés ne représentent qu'une partie des sujets fondamentalement déformés depuis quelque temps par les politiciens, historiens et propagandistes occidentaux. Des milliers de travaux scientifiques et d'articles sont déjà consacrés à leur analyse mais l'objectif de la présente publication consiste à nous pencher seulement sur l'un des moments cruciaux de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale — l'attaque de l'Allemagne hitlérienne contre l'Union soviétique.

De mon point de vue, l'attaque des nazis contre l'URSS est un épisode majeur de la guerre, directement lié à notre présent. Cet épisode, pourtant, n'a toujours pas reçu le traitement adéquat dans le domaine des sciences humaines au niveau mondial.

La guerre de l'Allemagne nazie contre l'Union soviétique se distingue foncièrement de celle qu'elle a mené contre les autres pays.

Moins de deux ans après le début de la Seconde Guerre mondiale, les forces hitlériennes avaient conquis la moitié de l'Europe mais les campagnes contre la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Belgique, la France, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie ont conduit à la prise de territoires et n'avaient pas pour objectif d'y exterminer la population.

Il était important pour le Führer de renverser le pouvoir dans ces pays et de mettre les élites de son côté. En fait, la plupart des pays annexés ont simplement reconnu le pouvoir de l'Allemagne en abandonnant de leur plein gré leur souveraineté. La guerre contre l'URSS était d'un tout autre ordre.

Le 22 juin 1941, les forces hitlériennes franchissent la ligne rouge

La guerre contre l'Union soviétique a constitué une étape cruciale de la Seconde Guerre mondiale, dont l'objectif n'était pas simplement de prendre un territoire ("élargir l'espace vital", pour employer le langage des nazis allemands), mais d'éliminer le peuple soviétique en tant que tel.

Dans ce sens, l'Allemagne a franchi la limite il y a 75 ans en engageant un génocide sans précédent contre la population de l'URSS par des méthodes qui n'avaient encore jamais été utilisées auparavant.

Les Soviétiques, indépendamment de leur âge, étaient brûlés dans leur maison (il y a des centaines, voire des milliers d'exemples de ce qui s'est produit à Khatyn en Biélorussie), exécutés par milliers dans des trous qu'ils creusaient eux-mêmes (le massacre de Babi Iar n'est pas unique) et envoyés par millions dans des camps de concentration pour être cruellement assassinés.

Début juin 2016, le président allemand Joachim Gauck a pourtant appelé la Russie à la "repentance pour les crimes de la période communiste".

Gauck a-t-il conscience du fait que ce n'est pas à l'Allemagne de proposer à la Russie une telle repentance? Je pense que non, car tout en Europe contemporaine — la politique, les médias et même la science — converge pour former une nouvelle génération d'Européens persuadés que ce n'est pas l'Allemagne qui a attaqué l'URSS en 1941 mais l'inverse, que ce pays et l'Europe en tant que telle ont été victimes d'une agression de Staline, et qu'aujourd'hui ils pourraient devenir "victimes d'une agression de la Russie".

Pendant leur Journée de mémoire et de deuil les Russes honorent la mémoire de tous ceux qui sont morts dans la lutte contre le fascisme. Mais le deuil ne suffit pas: il faut se rappeler de tous et de chacun. La mémoire des morts est notre point d'appui dans le combat contre le nazisme que certains tentent aujourd'hui de faire renaître.

Le célèbre philosophe et soldat du front russe Alexandre Zinoviev avait mis en garde il y a vingt ans déjà qu'une troisième étape d'agression, la plus terrible, attendait la Russie de la part de l'Occident: "Elle concerne la présence des Russes dans l'histoire de l'humanité". Et de toute évidence cette étape a commencé, étant donné que l'Occident s'est mis à rayer avec désinvolture la Russie de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, ce qui nous rapproche de la répétition d'un nouveau 22 juin…