Si les athlètes russes étaient bannis des Jeux olympiques de Rio 2016, ce serait très regrettable pour les sportifs et les entraîneurs, regrettable pour tous les supporters, mais cela ne serait pas non plus une tragédie planétaire.

L'idée de priver le pays de cette compétition vise essentiellement la société russe. Elle constitue un argument de plus visant à faire comprendre aux citoyens du pays à quel point ils sont malheureux avec Poutine, avec son pouvoir, avec l'État russe. A quel point tout le peuple souffre à cause d'eux. On veut nous expliquer qu'à cause de la politique de Poutine, la Russie se transforme progressivement en État voyou et qu'il suffirait simplement de renoncer à l'idée de souveraineté et au président qui est, pour une certaine raison, très préoccupé par cette idée, pour rejoindre la communauté mondiale. Et les sportifs qui renonceront au drapeau russe seront autorisés à participer à la grande fête du sport mondial. Ce serait très symbolique.

Il serait étrange que nos "partenaires" aient laissé passer cette excellente occasion de commettre une nouvelle action très efficace — à leurs yeux — visant à démanteler la Russie. Je pense que de telles tentatives seront encore nombreuses.

Les apparences jouent également un rôle important. Tout le monde civilisé doit voir que les Russes ne sont pas simplement des agresseurs, mais aussi des barbares. Que même dans un domaine aussi "sacré et pur" que le sport olympique nous manions la fraude, le mensonge et la corruption. Et que nous ne pouvons pas nous en débarrasser car nous sommes des esclaves de l'État.

Tout cela est assez évident. Mais que devons-nous faire? Comment régir? Ne pas réagir? Toquer à leur porte? La claquer et abaisser le rideau de fer? Se comporter de manière plus offensive, plus active, notamment par une reconquête de nos positions dans les organisations internationales?

La situation actuelle autour des JO permet d'en parler sur un exemple concret: le sport.

Ce domaine fait l'objet d'une grande hypocrisie quand on en vient à la question du dopage. En Grèce ancienne, les guerres cessaient pendant les JO car la démonstration des capacités physiques, du meilleur de soi-même et la pratique même du développement de ces capacités étaient considérées comme supérieures, comme plus importantes qu'un conflit pour savoir qui sera dominé et asservi.

La question de savoir de quoi un homme était capable préoccupait vraiment les fondateurs de la culture européenne. Un athlète montre les capacités de son corps et de son esprit, il dévoile les "capacités de réserve d'un homme". Et les JO sont le point culminant de la démonstration des acquis de cette pratique.

La reprise des Jeux olympiques après 1 500 ans d'interruption s'est produite dans un contexte socioculturel complètement différent. La civilisation européenne s'est fermement engagée sur le chemin de l'aliénation de la vie. Aujourd'hui, la médecine et la pharmacie traitent l'homme comme un engin imparfait qu'il faut réparer, doter de prothèses et corriger. L'ingénierie génique, les biotechnologies et la cybernétique en pleine évolution aujourd'hui visent à "améliorer" la nature de l'homme par sa modernisation technique.

L'humain est aujourd'hui pensé comme un mécanisme, certes complexe, mais mort. Les capacités vivantes qui permettent à l'homme de changer sans intervention extérieure, qui permettent de perfectionner le corps, ne sont pratiquement pas prises en compte.

C'est pourquoi le sport en général, et les JO en particulier, sont dans une situation complexe et contradictoire. D'un côté, l'essence du sport est incontournable. Après tout, ce qui nous intéresse reste la compétition entre des humains, pas des machines. Alors qu'il y a quelque chose d'inauthentique dans la victoire d'un homme qui utilise des produits stimulants. Nous voulons voir dans la bataille un homme, et non un être hybride amélioré grâce à la chimie et aux puces électroniques. Les athlètes qui cherchaient à gagner en fraudant d'une manière ou d'une autre étaient expulsés des JO en Grèce ancienne. Et apparemment, il faudrait respecter cette ancienne tradition olympique…

D'un autre côté, comment préserver la pureté des traditions dans un monde qui va dans un sens complètement opposé? Avec de nombreuses possibilités d'améliorer un résultat grâce à la modernisation technique, y compris pharmaceutique, de l'homme? Quand de grandes sommes d'argent sont en jeu? Quand le domaine du sport en soi représente un immense segment du marché?

Aujourd'hui cette contradiction se résout d'une manière traditionnelle pour la civilisation occidentale contemporaine: l'hypocrisie. Tout le monde doit seulement maintenir l'apparence de la pureté. Des interdictions existent mais elles ne sont pas absolues. Les frontières se déplacent constamment.

Certes, les sportifs consomment des produits mais uniquement ceux qui sont autorisés ou tolérés en cas d'indication médicale. Ce qui était autorisé hier est interdit aujourd'hui (comme le meldonium). La notion en soi du dopage est une perfidie: en quoi une chimie est foncièrement meilleure qu'une autre? L'idée du dopage permet à chaque fois de tracer délibérément une limite entre le permis et l'interdit.

Dans cette situation floue, l'AMA (Agence mondiale antidopage), tous les services et laboratoires de contrôle anti-dopage se transforment dans le meilleur des cas en instrument pour obtenir des avantages pour les sportifs des pays dont les représentants contrôlent ces organisations, dans le pire des cas en instrument politique pour disqualifier des pays entiers. Pendant ce temps, personne n'a l'intention de se battre pour la pureté de la tradition olympique.

La position russe aujourd'hui est franchement faible.

Nous avons accepté ces règles du jeu hypocrites. Tous ceux qui ont un jour "touché" au sport de haut niveau savent que le "soutien pharmaceutique" est répandu dans le sport russe. Il est évident qu'en Russie comme ailleurs, cette pratique est à la limite de l'admissible — entre pris et pas pris. Sachant que, comme convenu, nous le nions.

Nous sommes très naïfs. Nous pensons qu'on nous permet de jouer selon les règles communes. Nous ne comprenons pas que ces règles ne s'appliquent pas à nous. L'histoire qui a frappé récemment les athlètes russes illustre notre naïveté. Toutes les tentatives de se remettre sur le droit chemin ont été vaines. Même si le résultat était prévisible depuis le début.

Je suppose que nous devons sortir de tous ces jeux hypocrites autour du sport authentique. Pourquoi? Premièrement parce que nous ne pouvons pas gagner — nous ne contrôlerons pas les organisations sportives internationales dans un avenir proche. Deuxièmement, l'hypocrisie n'est pas notre trait de caractère.

Je pense que nous devons adopter une position honnête et de principe. Renoncer réellement à la pharmacologie dans le sport. Quelle qu'elle soit. N'utiliser des médicaments que sur prescription médicale vitale. Revenir aux vrais principes olympiques, c'est-à-dire revenir aux origines civilisationnelles européennes.

Un homme doit affronter un autre homme sans être encadré par une armée de bio-techniciens, de bio-ingénieurs et de pharmaciens. Il faut planifier à partir de zéro un service sportif anti-pharmaceutique. Il faut dévoiler toute l'hypocrisie et le mensonge de la pratique internationale antidopage. Proposer nos propres règles du jeu, transparentes et honnêtes.

Si nos propositions étaient rejetées, nous devrons quitter toutes les organisations antidopage existantes. Annoncer que nous poursuivrons la tradition olympique authentique.

Proposer à tous ceux qui le souhaitent d'y adhérer. Ne pas ignorer le système actuel d'organisation des JO. Y participer si l'on nous y invite. Ne pas s'inviter. Peut-être que nous devrons organiser notre propre version des JO. Dans ce cas, il faudra être prêts à ce qu'ils soient exclusivement russes dans un premier temps.

Cette position implique également le développement des sciences humaines, notamment sur les capacités de réserve de l'homme pour remplacer les élaborations pharmaceutiques.

Ce qui se passe aujourd'hui dans le sport mondial est comparable à d'autres processus à l'œuvre au sein de la société. Partout, le fond est substitué par de fausses essences qui contribuent aux tâches de domination et de profit commercial. Ceux qui poursuivent ces objectifs qualifient de "prospérité" la vie dans la dette. L'émission effrénée d'argent non consolidé et la destruction du capital sont appelées "politique d'assouplissement quantitatif". L'abrutissement total des masses est présenté comme le développement du système éducatif. L'instauration d'une forte dépendance envers les médicaments chez toute la population de la planète est montré comme le chemin qui mène à la santé.

Dans l'ensemble la civilisation occidentale, devenue globale aujourd'hui, se dégrade. En réalité ces processus puissants prennent de l'ampleur, qui visent à établir un ordre mondial complètement immoral et inhumain.

Aujourd'hui, le monde a besoin de la Russie pour rétablir et sauvegarder l'essence des choses. Et notamment de l'homme. Nous sommes probablement les seuls à le faire aujourd'hui au niveau du pays et de l'État. Que tous ceux qui souhaitent rester humains et survivre viennent en Russie.

Notre principal problème est que notre élite n'atteint pas encore le niveau nécessaire de réflexion et d'autodétermination civilisationnelle. Il faut nous appuyer sur les situations problématiques comme celle des JO pour nous développer.